J’ai eu le plaisir d’assister aux portes ouvertes de l’école de chiens guides de Toulouse 2016 avec mes appareils photo autour du cou. Comme d’habitude la journée a été très réussie, de nombreux visiteurs, des animations fantastiques et on est passé entre les gouttes. Il y avait une longue queue à l’atelier dans le noir, chaque année c’est bondé. Il va falloir que je pose les appareils photo un jour et que je le fasse !
J’ai beaucoup apprécié les commentaires de démonstration de Magali, la directrice technique de l’école. Elle a un talent fou pour expliquer clairement tout le monde complexe du chien guide. Elle a dit plusieurs fois que le chien guide n’est pas un robot. C’est un être vivant qui fait un travail formidable, mais reste faillible. Ce serait bien si plus de voyants comprenaient le travail du chien guide. Trop souvent les gens pensent que c’est miraculeux, magique, etc. En fait, non. C’est beaucoup de travail, de la part des familles d’accueil, des écoles, et des maîtres. Le chien aussi bosse et apprécie qu’on le laisse travailler !
Et puis Nicolas et Igor sont venus nous voir pour l’occasion, c’est toujours super de passer du temps avec eux. Regardez les photos, Igor est de plus en plus beau, vous ne trouvez pas ?
Comment vous allez faire pour laisser partir ce chien ? C’est la question qu’on m’a posé mille fois ces deux dernières années. Ma réponse était toujours : ma fille aussi va partir un jour, ça fait partie de la vie, c’est naturel, Igor est un chien guide d’aveugle, il a un métier. Mais la vraie réponse, maintenant que j’ai bouclé la boucle, est un peu plus subtile.
La vérité est que j’ai passé dimanche dernier avec le cœur lourd et la larme à l’œil. Cela est rare pour moi, mais penser que le lendemain je devrais ramener Igor à l’école et qu’il ne rentrerait plus m’a mis un grand coup. Je m’y attendais, mais c’est dur quand c’est l’heure. J’avais beau me dire « personne n’est mort, arrête ta connerie » j’étais terriblement triste. Heureusement cet état d’âme n’a pas duré. Lundi j’ai rencontré Nicolas « en vrai » et cela m’a fait le plus grand bien !
La poudre magique qui rend la situation plus facile quand on a le cœur gros, c’est le rapport humain. J’aurais eu beaucoup plus de mal avec un maître-chien moins sympa. Mais pour ce qui est d’être sympathique, avec Nicolas on a tiré le gros lot ! Non seulement ça, mais nous n’avons eu aucun mal à trouver des points communs entre nous. Grand prématuré (6 mois) il est aveugle de naissance et il a aussi des difficultés auditives (corrigées avec appareillage). Fermez les yeux et bouchez-vous les oreilles pendant une heure. Vous ne voulez pas le faire ? Je comprends, je préfère garder mes sens moi aussi, mais j’ai essayé, c’est difficile à vivre. Ma fille est aussi une grande prématurée (elle aussi née à 6 mois de gestation), mais elle s’en est sortie sans séquelles. Coup de chance, ça aurait pu être elle, comme ça pourrait être moi qui perd la vue un jour. La vie ne distribue pas les cartes de façon égales et il y a des choses qu’on ne peut pas changer.
Mais Nicolas a pris les billes qu’il a et il a fait au mieux. Il a fait des études (bac +5, excusez du peu !), il est juriste dans l’administration, passe des concours pour avoir de l’avancement comme tout le monde, et fait son chemin de façon exemplaire. En plus il apprécie la valeur des nouvelles technologies, comme nous. Mon iPhone m’a changé la vie, mais pour les non-voyants c’est encore plus utile ! Nicolas a su apprendre à utiliser les technologies qui rendent la vie plus facile pour les déficients visuels aujourd’hui : une plage Braille (texte écrit vers texte tactile), JAWS (qui lui lit tout ce qui se trouve sous Windows), Voice Over (lecteur d’écran Apple sous iOS), et petit clavier Blue Tooth avec lequel il écrit des SMS à une vitesse incroyable, comme un adolescent !
Nicolas prend aussi la responsabilité de son troisième chien guide. Je ne dis pas que c’est facile de se déplacer à l’aide d’un chien guide (j’ai essayé pendant 10 minutes, dur dur !), mais ça s’apprend, et il faut reprendre cet apprentissage avec chaque nouveau chien. Qu’à cela ne tienne, Nicolas le fait ! Il ne lui manque qu’une chose à Nicolas : l’art de la photo canine. Oui, je veux des photos d’Igor ! Mais là aussi, il veut apprendre. Et tant qu’on y est, c’est l’occasion pour moi d’observer comment Nicolas fait avec Voice Over parce que c’est un grand mystère pour moi. Il va me montrer ce soir !
J’ai fait beaucoup de rencontres fantastiques depuis que je suis famille d’accueil à l’école de chiens guides de Toulouse mais avoir l’occasion de tisser des liens d’amitié avec Nicolas c’est la cerise sur le gâteau. Et Igor restera toujours Igor, l’irremplaçable. Le chien à qui il ne manque que la parole. Laetitia–qui a formé de nombeux chiens–dit qu’Igor c’est le Bouddah des chiens guides, Mr. Zen Attitude. Pour moi cela veut dire le chien parfait, tout simplement !
Et en plus Igor a passé le repas que nous avons partagé hier couché aux pieds de son maître. Il n’avait que l’embarras du choix. Autour de la table il y avait sa famille d’accueil au complet, son éducatrice qu’il adore, et son maître Nicolas. Et bien il a passé un long moment aux pieds de Nicolas. Je ne dis pas que c’est surnaturel, mais les chiens-guides tissent des liens très rapidement avec leur maître, et quand le maître se donne le mal d’apprendre comment faire c’est magique.
Donc à la question initiale la réponse c’est qu’il faut miser sur les relations que l’on lie, pas seulement avec le chien, mais aussi avec son maître déficient visuel. Je laisse Igor partir avec confiance. Son éducatrice Laetitia a fait un travail remarquable, il connait son métier, et ils fera bon chemin avec Nicolas. C’est ce que nous souhaitons tous aux êtres que nous aimons, humain ou canin.
Pierrette (famille d’accueil et bénévole de l’école des chiens guides de Toulouse depuis l’été 2012) a très gentiment accepté d’écrire cet article pour nous parler de la réforme. On n’aime pas parler de ce qui fâche, mais parfois il le faut. J’ai ajouté mes observations à la fin de son article.
L’aventure commence toujours bien
Iaman (à droite sur la photo) est arrivé à l’école avec Igor (à gauche) et sa sœur India (au milieu). Comme c’est le cas pour un élève-chien guide sur trois (en moyenne), il n’arrivera pas au terme de sa formation. Pas de chance pour Pierrette, son premier chien, Helpy, avait aussi été réformé ! Laissons-la nous raconter ces parcours toujours douloureux pour les familles d’accueil :
Le petit chiot qu’on a accueilli apprend à faire ses besoins au caniveau. Après notre rue et le quartier, il découvre le métro et les rues de la ville. Un jour, ou plutôt une nuit, alors qu’il n’est encore qu’une boule de poils, on laisse ouverte la porte du Vari Kennel. Il est déjà «un peu grand » !
La caisse miraculeuse restera encore quelque temps dans un coin du salon pour finir d’apprendre la solitude. Il ira s’y reposer de lui-même ou bien on l’obligera à y rester pour éviter qu’il ne fasse des bêtises parce qu’il pleut beaucoup et qu’il faut bien aller acheter une baguette de pain pour midi… Et puis, à l’occasion d’une séance d’obéissance collective, le Vari retournera à l’école. Il est « un peu plus grand ».
Encore quelques centimètres, les pattes s’allongent, les promenades aussi. On le connaît bien maintenant. Il est têtu, effronté, peureux, malin, calme, remuant, obéissant, curieux, gourmand, sage ou polisson… Mais toujours il reste « notre » Loulou, le plus beau, le préféré. Et le voici « pratiquement grand » !
Les obstacles qui peuvent mener à la réforme
Arrivent pour nous les épreuves redoutées : les examens des septième et douzième mois. C’est parfois à ce moment-là que les choses se gâtent, lorsque le mot tant redouté frappe nos oreilles : dysplasie ! Mais parfois, le problème arrive plus tôt : notre Loulou avale tout ce qu’il trouve et c’est l’occlusion intestinale. Ou bien il a eu peur, un gros bruit, un chien agressif… Quelquefois, c’est plus tard. Bien sûr qu’il avait déjà boité, on l’avait dit mais ça ne durait pas et surtout : les radios étaient bonnes… Un scanner à 16 mois et c’est la douche froide ! Alors, tandis que pour la plupart des familles et des chiens, la vie suit son cours tranquillement, nous, nous découvrons le doute.
Il arrive, heureusement, que le travail de l’éducateur ou celui d’un chirurgien solutionne le problème, mais dans tous les cas, on connaîtra une période plus ou moins longue pendant laquelle le quotidien va changer.
S’il s’agit, pour l’éducateur, de corriger une phobie, on guette la moindre parole encourageante, on observe sans arrêt, on met en situation en redoutant l’échec… S’il y a intervention chirurgicale, alors commence la convalescence, le repos forcé à la place des belles promenades et l’isolement pour Loulou comme pour nous. On suit les conseils, puisqu’il ne bouge pas, nous on bouge moins. Et on observe aussi, et on guette le moindre déplacement, et on y met tout notre cœur car ce qu’on veut tous, c’est qu’il reprenne la formation !
Il y a des dénouements heureux : tout rentre dans l’ordre. La formation se termine parfaitement, notre compagnon rencontre son maître et satisfait, on peut se dire : mission accomplie !
Et il y a des situations qui semblent s’enliser et qui font mal. Parce que la chirurgie n’a pas marché, parce qu’un nouveau problème apparaît, parce que, malgré tout son savoir-faire, l’éducateur ne peut pas lutter contre un traumatisme trop fort. Loulou est réformé !!! Il ne sera pas chien-guide !
C’est ce qui est arrivé à Helpy, adorable caniche royal, trop sensible pour affronter les bruits de la grande ville ainsi qu’à Iaman, superbe labrador noir que la chirurgie du coude n’a pas guéri.
Qu’advient-il des élèves chien guide réformés ?
Quel avenir pour eux ? La plupart du temps, l’adoption. Nouvelle période de questionnement, de culpabilité. L’école nous propose toujours de l’adopter nous-même. Comment peut-on dire non alors qu’il est nôtre depuis plusieurs mois ? Certaines familles gardent le chien. Malgré toute l’affection que j’avais pour eux (et que j’ai toujours), j’ai décidé de ne pas les adopter. L’école a trouvé des familles adorables. Ils vivent à la campagne, avec des maîtres gentils (enchantés d’avoir des chiens parfaitement éduqués) et avec de jeunes enfants qui ne sont pas avares de câlins. Ils sont heureux et je le suis aussi pour eux.
La réalité des familles d’accueil qui ont un chien qui risque la réforme
Si l’aventure « famille d’accueil » se termine bien en général, il faut savoir que dès qu’un problème apparait dans l’éducation, c’est très déstabilisant. On s’engage dans une aventure avec confiance et avec un seul but : participer à la formation d’un chien-guide d’aveugles. On a beau savoir qu’en moyenne un chien sur trois ne finira pas la formation, on croit toujours que ce ne sera pas le nôtre. Quand le chien est en formation, on va régulièrement à l’école, on échange beaucoup avec l’éducateur et on rencontre les autres familles. On sort beaucoup avec notre chien. On l’emmène fièrement en ville, faire les courses, en vacances, au cinéma et même au concert.
Quand le chien rencontre un problème sérieux, quand son éducation est interrompue, quand la convalescence dure, on se retrouve isolé, on perd en partie le contact avec l’extérieur et avec l’école. C’est une période difficile à vivre. Les autres avancent et nous on stagne ! Personnellement, je lisais en pleurant le petit journal des familles, jalouse de l’avancée des autres et regrettant les escapades des premiers mois, la virée au Mont Saint Michel, le concert à Sète et les nuits en chambres d’hôtes.
Ne pas rester isolé, solliciter l’école, confier le chien pour un week end (ou plus) et parler de ses problèmes. Voilà ce qu’il faut faire ! Et dans cette période d’incertitude, garder confiance car, que ce soit à un déficient visuel, à nous ou à une famille d’adoption, nos Loulous ne seront confiés qu’à des gens qui les aimeront.
Les observations d’Annie
Pierrette est trop modeste. Elle n’a pas assez insisté sur un point vital : que le chien devienne chien guide ou pas, c’est le même travail pour la famille d’accueil. Il faut lui apprendre le caniveau, faire des sorties tous les jours, prendre les transports en commun avec le chiot, amener le chiot dans tous les magasins, lui apprendre la propreté, lui apprendre à ne pas tirer en laisse, lui apprendre les commandes de base : assis, couché, à ta place, le chien doit revenir au sifflet, s’arrêter avant tous les trottoirs, il faut faire des allées venues fréquentes pour rencontrer l’éducatrice/éducateur en ville, etc. Il faut beaucoup s’investir avant de savoir quelle sera l’issue. Pierrette a fait autant de travail que toute autre famille d’accueil, même si Helpy et Iaman ont été réformés. Et en plus elle a refait deux fois sans se démonter et le fera peut-être une troisième. Cela montre une dévotion fantastique à la cause des chiens guides d’aveugle que j’admire et je salue. Merci encore à Pierrette d’avoir partagé son experience avec nous.
Tous les ans les associations Lion’s Club de Toulouse mobilisent de nombreuses personnes pour vendre des pommes au profit de notre école de chien guide. Les « Lions » se placent dans de nombreux centres commerciaux de autour de Toulouse et vendent des pommes offertes par le centre commercial. Ils ont beaucoup de courage parce qu’ils y passent presque tout le week-end ! Igor et moi sommes allés leur prêter main forte parce que c’est clair, quand il y a un chien, les ventes se font plus facilement. Merci aux Lions pour leur dévouement !
Cette semaine Igor passe par une étape importante de sa vie de chien guide : il passe son premier week-end chez son futur maître, nous allons voir ainsi s’ils font bon ménage car ce n’est pas toujours le cas ! Le directeur de l’école de Toulouse, Nicolas Guegan, raconte une anecdote vécue où quand une dame a reçu son futur chien guide chez elle pour le week-end elle s’est rendue compte que l’odeur de chien mouillé lui était insupportable. Après plusieurs mois d’attente et de préparation, elle a préféré ne pas prendre de chien guide. On ne peut jamais tout anticiper sans faire un essai !
L’autre question qui se pose souvent c’est la présence d’autres animaux chez le futur maître, est ce que les animaux vont s’entendre ? Igor entre dans une famille où il y a déjà un chien, Axo, le chien guide qui prend sa retraite et va rester chez lui. Nicolas a préparé la venue d’Igor en installant Axo dans la partie de la maison qu’occupe sa mère, ce qui était une très bonne idée.
Mais il se trouve qu’Axo et Igor s’entendent très bien ! Axo et Igor jouent et ils sont maintenant copains. Cela ne m’étonne pas, Igor a grandi avec ma chienne (qui avait elle aussi 10 ans quand il est arrivé) et il a l’habitude des séniors. D’autant plus que Luna est une sénior grincheuse qui lui a bien montré qui était le chef ! Ils s’aiment beaucoup, mais c’est parce que qu’Igor a su lui laisser sa place et j’espère qu’il continuera à être aussi prévenant avec Axo.
Le premier week-end n’est pas un « week-end de travail » puisque Nicolas ne pourra travailler au harnais seul avec Igor qu’après la « remise ». Mais Nicolas et Igor ont pu travailler ensemble en présence de l’éducatrice Laetitia. Ils ont fait le trajet maison – bureau avec Igor au harnais, Igor a pris le tramway pour la première fois (avec moi il avait pris le bus et le métro, mais jamais le tramway !) et aussi bien Laetitia que Nicolas me disent que tout s’est bien passé. Laetitia a maintenant une meilleure idée des apprentissages qu’elle doit renforcer avec Igor pour qu’il soit bien préparé à sa situation particulière. Après le départ de Laetitia Nicolas a amené Igor au supermarché avec sa mère puis en randonnée avec son frère. Nicolas m’a envoyé un texto pour m’en parler :
« Igor rentre d’une journée très sportive, il a fait une randonnée en forêt ; il a été super extra toujours proche de moi et mon frère qui me guidait. Igor jamais très loin même sans le rappeler. On vient de rentrer, je pense qu’il va bien dormir ! »
Igor n’aurait pas pu mieux tomber !
En conclusion je ne peux que me répéter, Igor ne pouvait pas mieux tomber ! Au début de cette aventure il y a presque deux ans je n’avais aucune idée si Igor pourrait devenir chien guide et s’il allait être placé dans une famille sympathique. J’avais toutes les raisons de l’espérer, mais on ne sait pas tant que ce n’est pas fait ! Et bien c’est fait et je suis ravie ! Je suis particulièrement contente parce qu’avec moi Igor a pris l’habitude de longues balades presque tous les jours et s’il a des occasions d’en faire avec Nicolas, il sera très heureux.
Laetitia me dit qu’il y a aussi tout près de chez eux de nombreux endroits adaptés pour détendre les chiens, et c’est souvent la quantité et la qualité des moments de détente qui font qu’un chien guide fera bien son travail ou pas. Elle a placé des dizaines de chiens guides en sept ans, et elle sait qu’avoir assez de détente est vital pour le bien-être du chien (et du maître aussi). En plus il aura la compagnie d’un autre chien, Axo, ce qu’Igor va beaucoup apprécier parce il n’aime pas être seul.
Bref, je suis ravie de ce placement, ce qui n’empêche pas qu’il me tarde de revoir Igor chez nous avant sa remise ! Surtout que le week-end prochain c’est les portes-ouvertes des écoles de chien guide dans toute la France et nous allons participer à Toulouse, avec Igor et Laetitia, qui sont très complices comme vous le voyez sur cette photo. Rendez-vous d’ici quelques jours pour un article qui va vous montre Igor et Laetitia au travail en situation de guidage.
Vidéo. Ce week-end lors du Congrès National des Écoles de Chien Guide qui s’est tenu à Toulouse, j’ai eu le plaisir de rencontrer Joel et son chien-guide la délicieuse Cannelle. J’ai adoré et j’ai aussi beaucoup aimé la vidéo réalisée par l’école de Lyon qui montre le travail de Cannelle lorsqu’elle guide Joel en milieu rural et sur les santiers et les colinnes. Bravo a tout les deux !