Pierrette (famille d’accueil et bénévole de l’école des chiens guides de Toulouse depuis l’été 2012) a très gentiment accepté d’écrire cet article pour nous parler de la réforme. On n’aime pas parler de ce qui fâche, mais parfois il le faut. J’ai ajouté mes observations à la fin de son article.
L’aventure commence toujours bien
Iaman (à droite sur la photo) est arrivé à l’école avec Igor (à gauche) et sa sœur India (au milieu). Comme c’est le cas pour un élève-chien guide sur trois (en moyenne), il n’arrivera pas au terme de sa formation. Pas de chance pour Pierrette, son premier chien, Helpy, avait aussi été réformé ! Laissons-la nous raconter ces parcours toujours douloureux pour les familles d’accueil :
Le petit chiot qu’on a accueilli apprend à faire ses besoins au caniveau. Après notre rue et le quartier, il découvre le métro et les rues de la ville. Un jour, ou plutôt une nuit, alors qu’il n’est encore qu’une boule de poils, on laisse ouverte la porte du Vari Kennel. Il est déjà «un peu grand » !
La caisse miraculeuse restera encore quelque temps dans un coin du salon pour finir d’apprendre la solitude. Il ira s’y reposer de lui-même ou bien on l’obligera à y rester pour éviter qu’il ne fasse des bêtises parce qu’il pleut beaucoup et qu’il faut bien aller acheter une baguette de pain pour midi… Et puis, à l’occasion d’une séance d’obéissance collective, le Vari retournera à l’école. Il est « un peu plus grand ».
Encore quelques centimètres, les pattes s’allongent, les promenades aussi. On le connaît bien maintenant. Il est têtu, effronté, peureux, malin, calme, remuant, obéissant, curieux, gourmand, sage ou polisson… Mais toujours il reste « notre » Loulou, le plus beau, le préféré. Et le voici « pratiquement grand » !
Les obstacles qui peuvent mener à la réforme
Arrivent pour nous les épreuves redoutées : les examens des septième et douzième mois. C’est parfois à ce moment-là que les choses se gâtent, lorsque le mot tant redouté frappe nos oreilles : dysplasie ! Mais parfois, le problème arrive plus tôt : notre Loulou avale tout ce qu’il trouve et c’est l’occlusion intestinale. Ou bien il a eu peur, un gros bruit, un chien agressif… Quelquefois, c’est plus tard. Bien sûr qu’il avait déjà boité, on l’avait dit mais ça ne durait pas et surtout : les radios étaient bonnes… Un scanner à 16 mois et c’est la douche froide ! Alors, tandis que pour la plupart des familles et des chiens, la vie suit son cours tranquillement, nous, nous découvrons le doute.
Il arrive, heureusement, que le travail de l’éducateur ou celui d’un chirurgien solutionne le problème, mais dans tous les cas, on connaîtra une période plus ou moins longue pendant laquelle le quotidien va changer.
S’il s’agit, pour l’éducateur, de corriger une phobie, on guette la moindre parole encourageante, on observe sans arrêt, on met en situation en redoutant l’échec… S’il y a intervention chirurgicale, alors commence la convalescence, le repos forcé à la place des belles promenades et l’isolement pour Loulou comme pour nous. On suit les conseils, puisqu’il ne bouge pas, nous on bouge moins. Et on observe aussi, et on guette le moindre déplacement, et on y met tout notre cœur car ce qu’on veut tous, c’est qu’il reprenne la formation !
Il y a des dénouements heureux : tout rentre dans l’ordre. La formation se termine parfaitement, notre compagnon rencontre son maître et satisfait, on peut se dire : mission accomplie !
Et il y a des situations qui semblent s’enliser et qui font mal. Parce que la chirurgie n’a pas marché, parce qu’un nouveau problème apparaît, parce que, malgré tout son savoir-faire, l’éducateur ne peut pas lutter contre un traumatisme trop fort. Loulou est réformé !!! Il ne sera pas chien-guide !
C’est ce qui est arrivé à Helpy, adorable caniche royal, trop sensible pour affronter les bruits de la grande ville ainsi qu’à Iaman, superbe labrador noir que la chirurgie du coude n’a pas guéri.
Qu’advient-il des élèves chien guide réformés ?
Quel avenir pour eux ? La plupart du temps, l’adoption. Nouvelle période de questionnement, de culpabilité. L’école nous propose toujours de l’adopter nous-même. Comment peut-on dire non alors qu’il est nôtre depuis plusieurs mois ? Certaines familles gardent le chien. Malgré toute l’affection que j’avais pour eux (et que j’ai toujours), j’ai décidé de ne pas les adopter. L’école a trouvé des familles adorables. Ils vivent à la campagne, avec des maîtres gentils (enchantés d’avoir des chiens parfaitement éduqués) et avec de jeunes enfants qui ne sont pas avares de câlins. Ils sont heureux et je le suis aussi pour eux.
La réalité des familles d’accueil qui ont un chien qui risque la réforme
Si l’aventure « famille d’accueil » se termine bien en général, il faut savoir que dès qu’un problème apparait dans l’éducation, c’est très déstabilisant. On s’engage dans une aventure avec confiance et avec un seul but : participer à la formation d’un chien-guide d’aveugles. On a beau savoir qu’en moyenne un chien sur trois ne finira pas la formation, on croit toujours que ce ne sera pas le nôtre. Quand le chien est en formation, on va régulièrement à l’école, on échange beaucoup avec l’éducateur et on rencontre les autres familles. On sort beaucoup avec notre chien. On l’emmène fièrement en ville, faire les courses, en vacances, au cinéma et même au concert.
Quand le chien rencontre un problème sérieux, quand son éducation est interrompue, quand la convalescence dure, on se retrouve isolé, on perd en partie le contact avec l’extérieur et avec l’école. C’est une période difficile à vivre. Les autres avancent et nous on stagne ! Personnellement, je lisais en pleurant le petit journal des familles, jalouse de l’avancée des autres et regrettant les escapades des premiers mois, la virée au Mont Saint Michel, le concert à Sète et les nuits en chambres d’hôtes.
Ne pas rester isolé, solliciter l’école, confier le chien pour un week end (ou plus) et parler de ses problèmes. Voilà ce qu’il faut faire ! Et dans cette période d’incertitude, garder confiance car, que ce soit à un déficient visuel, à nous ou à une famille d’adoption, nos Loulous ne seront confiés qu’à des gens qui les aimeront.
Les observations d’Annie
Pierrette est trop modeste. Elle n’a pas assez insisté sur un point vital : que le chien devienne chien guide ou pas, c’est le même travail pour la famille d’accueil. Il faut lui apprendre le caniveau, faire des sorties tous les jours, prendre les transports en commun avec le chiot, amener le chiot dans tous les magasins, lui apprendre la propreté, lui apprendre à ne pas tirer en laisse, lui apprendre les commandes de base : assis, couché, à ta place, le chien doit revenir au sifflet, s’arrêter avant tous les trottoirs, il faut faire des allées venues fréquentes pour rencontrer l’éducatrice/éducateur en ville, etc. Il faut beaucoup s’investir avant de savoir quelle sera l’issue. Pierrette a fait autant de travail que toute autre famille d’accueil, même si Helpy et Iaman ont été réformés. Et en plus elle a refait deux fois sans se démonter et le fera peut-être une troisième. Cela montre une dévotion fantastique à la cause des chiens guides d’aveugle que j’admire et je salue. Merci encore à Pierrette d’avoir partagé son experience avec nous.
La réforme est quelque chose que toutes les familles d’accueil redoute… Et pourtant, la réforme n’est pas un échec, c’est juste une nouvelle histoire qui commence pour ce petit chien !
Pour Jumbé, elle a plané quelques mois aussi. Elle s’est éloignée, et j’espère qu’il ira au bout de sa formation !
Je vous souhaite à Pierrette et toi Annie, plein de futurs moments de bonheur avec tous les élèves chiens guides que vous accueillerez !